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Centenaire de l'archevêché des églises Orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale

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Eugène Evetz

« Je suis né en 1905, en Russie, dans la province de Grodno. De formation, je suis enseignant en primaire et professeur de musique dans des établissements d'enseignement général. En 1933, je fus diplômé du Séminaire des professeurs, et en 1936 du Conservatoire de Varsovie. »

Ainsi commence l'autobiographie malheureusement inachevée de l'un des meilleurs chefs de chœur de la diaspora russe. Tout au long de sa longue vie, il a combiné activité musicale et enseignement. Où qu’il fût, dans une paroisse rurale de Pologne, dans un camp de réfugiés en Allemagne, dans un village ouvrier au Maroc ou dans une cathédrale de Paris, il travaillait sans relâche, préparant et dirigeant des répétitions, donnant des cours particuliers de musique, participant à la vie musicale de l'émigration russe. Eugène. Evetz se distingue par son approche éthique de la musique, sa sobriété et en même temps l'extraordinaire subtilité de son intuition musicale et surtout sa noblesse intérieure.

Evgueni Ivanovitch Evetz est né le 1er Novembre 1905 dans le village de Dubiny, province de Grodno en Biélorussie, dans un environnement rural. Son père était un enseignant. Diplômé du Conservatoire de Varsovie en 1936, il travaille comme enseignant dans une école primaire de Varsovie. En 1939, il occupa le même poste à Bielsk Podlaski, où en 1941 il devint chantre principal. Les péripéties de la guerre l'a jeté avec sa femme, sa fille et ses trois fils dans un camp de réfugiés en Allemagne, où il prend le poste de chantre et chef de la vie musicale des réfugiés russes. Grâce à l'enthousiasme d'Evgueni Ivanovitch, les répétitions quotidiennes, les cours de musique, ainsi que les répétitions de l'orchestre d'instruments folkloriques, permettent aux Russes qui se retrouvent sans patrie, sans domicile, sans travail, et souvent sans famille, dans des conditions de camp difficiles, d’oublier les difficultés quotidiennes.

Après avoir vécu dans le camp pendant trois ans, la famille Evetz déménage au Maroc pour participer à des travaux de terrassement à l'invitation du roi du Maroc. Plusieurs milliers d'émigrants russes arrivent à Casablanca. Une paroisse, une école pour enfants et un centre culturel sont construits. L'un des principaux rôles dans l'organisation de la vie de la communauté russe sera joué par E. Evetz en tant que chef de chœur, chantre et professeur. Il organise à nouveau des chœurs d’enfants et d’adultes, un ensemble musical pour enfants et un orchestre à cordes, dans lequel il joue de la mandole. Pour chacun de ces ensembles musicaux, il doit écrire des partitions, faire des arrangements, s'adapter à la composition inhabituelle du chœur ou de l'orchestre, et parfois, il compose lui-même des pièces pour de nombreux concerts. Au cours des 14 années passées au Maroc, E.I. Evetz s'est produit 93 fois avec son chœur, dans des églises - avec un programme religieux, sur des scènes - avec un programme profane. Les représentations avaient lieu dans des paroisses, des écoles, des maisons de retraite, en différentes parties du royaume chérifien, dont certains furent diffusées à la radio. Au début des années 60, en raison des changements politiques dans le pays, les émigrants russes ont dû refaire leurs valises, quitter cette Afrique qui les avait accueillis et se disperser par le monde, aux États-Unis, en Australie et en Europe.

La famille Evetz déménagea à Paris en décembre 1962, où Evgueni Ivanovitch obtint rapidement le poste de chantre (psalomchtchik) à la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky. Le chœur était alors dirigé par Pierre Spassky, chœur qui assurait les services solennels épiscopaux, Evgueni Ivanovitch dirigeant le chœur lors des vigiles et en semaine. Au printemps 1963, deux mois après avoir déménagé du Maroc à Paris, profondément déconcerté par l'absence d'une vie musicale active parmi la jeunesse russe de Paris, Evgueni Ivanovitch fonde « l'Ensemble de la jeunesse russe », composé d'un chœur de jeunes et d'un orchestre à cordes d’instruments folkloriques (balalaïka, mandoline et guitare). Le premier concert eu lieu le 30 juin 1963 (soit 6 mois après son arrivée), au Conservatoire russe Rachmaninov. Sa première prestation consiste à chanter des Koliadki (chants traditionnels de Noël ukrainiens, similaires aux Christmas Carol anglais) au Noël des Sokols. Le chœur présenta ensuite des programmes religieux et profanes, et l'orchestre un programme d’œuvres classiques et folkloriques. Très vite, l'ensemble acquiert une excellente réputation dans le milieu musical parisien, non seulement russe, mais aussi parmi les Français. Une discipline stricte, une musicalité subtile et un répertoire étendu sont les principales caractéristiques de l'ensemble. Si l'orchestre à cordes a existé jusqu'au début des années 1980, le chœur a survécu à son fondateur et a existé jusqu'en 1999.

À la mort de P.V. Spassky en 1968, Evgueni Ivanovitch a été naturellement désigné pour le remplacer. Le champ de son activité s’élargit et E.I. Evetz se mit au travail avec diligence et persévérance. Des jeunes forces furent accueillies dans le chœur de la cathédrale.

Concert du choeur Evetz dans la cathédrale de Reims en 1968

Un changement de génération s’opéra, comme toujours, non sans grincements de dents et ressentiment... En même temps, il y eu un changement dans le répertoire et le style d'exécution des chants d'église. Si nous suivons les caractéristiques de l'historien du chant de l'église russe I.A. Gardner, le style d'interprétation de P.V. Spassky est du style du sud de la Russie, tandis qu'Evetz, étant diplômé de Varsovie, était plus proche du style de chant d'église de Saint-Pétersbourg. Cependant, il faut dire qu'Evetz sut parfaitement interpréter les œuvres non seulement de l'école de Saint-Pétersbourg, mais aussi celles de l'école de Moscou. Si l’on regarde la liste des pièces enregistrées par le chœur sous la direction d'Evgueni Ivanovitch, sur 69 chants 34 appartiennent à l’Ecole de Moscou (Kastalsky, Nikolsky, Tchesnokov, etc.). Les autres sont des œuvres de l'époque de Bortniansky, de l’Ecole de Saint-Pétersbourg dont 6 sont des œuvres de A. Arkhangelsky, qui de tous les compositeurs d'églises était le plus proche du cœur de Evetz.

Répétition du choeur d'église Evetz dans la maison paroissiale en 1974

Quant au répertoire des chants exécutés lors des offices divins, les proportions changent et viennent en premier les œuvres de «l'École de Saint-Pétersbourg» (Bortnyansky, Lvov, Lomakine, Arkhangelsky, etc.), puis de celle de Moscou. Cela est dû au fait que souvent les tentatives d'introduction d’œuvres des compositeurs de l’Ecole de Moscou ont été contrecarrées par le conservatisme et la routine de la majorité des paroissiens de la cathédrale à cette époque. Le chef de chœur dût entendre beaucoup de mots amers de la part de divers "experts" et "amoureux" du chant d'église, qui n'acceptaient rien d'autre que ce qu'ils avaient entendu dans leur enfance avant 1917, au mieux à Saint-Pétersbourg, et plus souvent dans quelque ville provinciale de l'arrière-pays russe, qui ne connaissait rien d'autre que «l’Usuel de Bakhmetev», les concertos de Vedel et consorts.

Répétition du choeur d'église Evetz dans la cathédrale en 1974

Cependant, avec le temps, Evgueni Ivanovitch sera en mesure de «nettoyer» le répertoire du chœur de l'église et de lui donner un aspect et une unité plus appropriés à la prière. Pendant les 26 ans de son activité musicale et chorale à Paris, Evgueni Ivanovitch Evetz s'est produit avec le chœur plus de quatre-vingts fois, à la radio et à la télévision, sur scène, dans des festivals, dans des églises, interprétant le plus souvent des chants d'église, mais aussi des œuvres classiques et folkloriques russes.

Emission France Musique la nuit du 18/05/1977, chorale de la Cathédrale Saint Alexandre Nevski

Le chœur sous sa direction a enregistré 5 disques 33 tours d’œuvres liturgiques, y compris une "Anthologie du chant de l’Eglise russe" présentant le développement stylistique du chant d'église depuis l'époque de Bortnyansky au dernier représentant de l'école de Moscou, Ivan Alekseevitch Gardner. L'un des disques a été enregistré avec la participation du ténor Nikolai Gedda, qui s'est également produit lors de concerts de musique chorale d'église et profane sous la direction d’E.I. Evetz.

Cependant, quelle que soient la biographie et les activités d'un musicien, le plus important (en particulier pour un musicien d'église) est de savoir comment il a réussi à manifester et à exprimer ce talent unique que le Seigneur lui a donné. Après tout, il y avait et il y a des chefs de chœur, des chantres et chanteurs qui, dans les conditions les plus difficiles d'exil et d'émigration, ont consacré toute leur vie et leurs forces au service de l'Église. En quoi Evetz est-il intéressant, original et utile pour nous-mêmes et pour la renaissance du chant religieux russe à notre époque ? Il me semble qu'il est intéressant, tout d'abord, pour son style d’exécution du chant liturgique. Pour comprendre cela, il faut écouter ses enregistrements et immédiatement apparaitra son style d'interprétation, basé sur les principes techniques de l'interprétation chorale développés par Kastalsky, Chesnokov, Nikolsky et d'autres maîtres de l'école de Moscou. La transparence de l'accord, la mise en avant de la mélodie dans diverses harmonisations, le travail sur la coloration des timbres vocaux, l’expressivité du texte liturgique de la prière, et en même temps, la fidélité à l'intention du compositeur dans les nuances et l'expression spirituelle. Evgueni Ivanovitch accordait une attention particulière à la prononciation du texte par le chœur. En effet, dans les conditions d'exile, il n'était pas facile de préserver la pureté de la prononciation non seulement du russe, mais surtout du Slavon. Et Evgueni Ivanovitch surveillait celle-ci de très près.

Son activité musicale ne se limita pas la direction de choeurs. Il enseigna également à Koenigstein, au congrès d'étude de la langue russe. Il composa dans l'anonymat des oeuvres chantées à Daru dont Елице во Христа крестистеся et le chant du bon larron en version choeur d'hommes, choeur de femmes et choeur mixte.

Le chant du bon larron, pour choeur de femmes par le choeur Znamenie de Paris. Composition d'E. Evetz.

Il arrive parfois que des critiques soient faites concernant le style d'interprétation d'E.I. Evetz : «tout est froid, sans âme, sans émotions». Cependant, les années passent et les goûts changent. La perception de ces piliers de l'art choral comme S. Jaroff et d'autres est en train de changer et certaines choses ne sont plus acceptables pour nous. Tandis que les enregistrements du chœur sous la direction d’E.I. Evetz conservent leur fraîcheur, leur nouveauté, leur originalité et leur haute qualité musicale. C'est le lot de talents rares. L'héritage d’E.I. Evetz est une source d'inspiration pour la nouvelle génération de chefs de chœur et de chanteurs d'église. Et tel était le but du travail inlassable de l'un des maîtres les plus remarquables de l'art du chant religieux russe du XXe siècle, et même du chant choral russe en général. Avec son travail, Evgueni Ivanovitch Evetz a tout fait pour nous transmettre à tous, et en particulier à la nouvelle Russie qui renaît, une pure et vivante tradition de chant religieux de la Russie passée. Sans aucun doute, il a réussi.

Evgueni Ivanovitch Evetz est décédé en 1990. Il est enterré au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois.